Il y a plus ou moins un an, je me suis retrouvée un peu par hasard à partager un long trajet de transport en commun avec Pierre Vachon (directeur des actions communautaires et éducatives de l’Opéra de Montréal). Ça nous a donné la chance d’en apprendre davantage sur nos occupations respectives. Je lui ai confié ma grande passion pour la chanson et l’écriture. Il m’a parlé du projet Yo’péra qu’il voulait mettre sur pied pour la saison suivante.
Une initiative commune de L’Opéra de Montréal et d’Espace transition offrant une opportunité unique à des jeunes qui vivent avec la maladie mentale. Celle de se décoller des étiquettes, et de relever des défis artistiques. D’aller se découvrir à l’extérieur du cadre thérapeutique.
J’étais loin de m’imaginer lorsque Pierre m’a proposé de me joindre à l’équipe, l’ampleur du cadeau qu’il venait de me faire.
J’ai pu, semaine après semaine, m’émerveiller devant la sensibilité et le courage d’un groupe de jeunes de 15 à 25 ans. Personne ne m’a parlé de diagnostic, et je n’ai pas chercher à en deviner non plus. Je voyais des individus, talentueux, imaginatifs, inspirés et inspirants.
Nous avions le mandat d’adapter le livret de Rigoletto à notre façon et d’en faire une version abrégée. J’ai été touchée des discussions profondes que l’on a eu sur les thèmes sensibles du livret. Rapidement on s’est entendu pour insuffler un regain de féminisme à l’œuvre. Ainsi, Gilda n’est pas enlevée, mais décide elle-même de quitter le logis pour rejoindre le Duc, Maddalena à un rôle clé dans les manigances qui mènent au conflit final, et même Giovanna (la servante de Rigoletto) s’est fait accorder un air dont je vous parlerai plus tard. Le fameux air du Duc ‘’La donna è mobile’’ devient d’ailleurs un ensemble où les femmes remettent joyeusement le Duc à sa place.
À travers les exercices d’écriture créative que je présentais aux jeunes j’ai eu le bonheur de découvrir leur personnalité respective. Je leur avais donné une seule règle : que les mots qu’ils utilisent soient toujours le reflet de leur vérité. Ils étaient libres de questionner ou d’interpréter mes consignes à leur guise, mais je pense que le vrai, on y a touché. C’est ce qui a rendu l’expérience aussi riche à mes yeux.
J’ai moi-même renouvelé ma passion pour la création et redécouvert son pouvoir exutoire à travers l’enseignement. La carrière artistique n’est pas faite que de lumière, et c’est ironique parfois comme les artifices, la politique ou la critique peuvent nous éloigner, même voir nous désensibilisé au pouvoir de guérison de la créativité.
Ainsi lors d’une période plus sombre pour moi à l’automne, j’ai eu peur de ne pas être en mesure d’animer mon atelier tant j’étais dépossédée par l’anxiété. J’ai pensé à ces jeunes et à la passion que j’espérais leur transmettre. Je me suis assise au piano et j’ai composé une berceuse. Pour mon cœur, pour les-leurs, et pour tous ceux et celles qui veulent apprendre ou réapprendre à imaginer.
La panique s’est apaisée, et j’ai pu aller à la rencontre de mes co-librettistes pour continuer le travail. Ils m’ont fait l’honneur d’intégrer ma berceuse au spectacle qui sera chantée par Giovanna à Gilda. Clin-d ’œil au fait que j’interprétais moi-même Giovanna lors de la production de Rigoletto à l’Opéra de Montréal en septembre.
Chiudi, chiudi gli occhi, parono le stelle
Chiudi, chiudi gli occhi,fuggirai domani,
Con l’acqua alta, col fiato di vento fuggirai
Altro il mare, altro il tempo, andrai…
Notre Rigoletto sera présenté mardi le 21 mai à la 5iem salle de la Place-des-arts à 20h, entrée libre!